Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Gaudibri's
Archives
Derniers commentaires
20 mai 2008

Récit du champion

J'ai demandé à Fred de rédiger pour le blog quelques lignes pour raconter dans son jargon cyclistique sa course de dimanche. Installez-vous confortablement, le coureur a la langue bien pendue...

J'avais beaucoup hésité avant de me rendre à Brioux. La météo menaçait, j'avais un peu tapé dedans la veille, monté des bosses à bon train pour vérifier mes jambes après les Pyrénées, j'avais eu de bonnes sensations mais je n'avais pas assez récupéré. Bref, pas les conditions idéales mais finalement, pas trop de pression et la perspective de retrouver les copains sur place.

Pourtant, j'étais à une victoire de la montée dans la catégorie supérieure (j'avais gagné les deux dernières courses en solitaire) et intérieurement, je me disais bien que tout pouvait arriver.
Là-bas, je retrouve Mémé, un copain de mon club qui aligne déjà 6-7000 bornes au compteur depuis janvier. Il faut dire qu'il prépare Paris-Nice en cyclo et il fait du foncier. Il n'est pas capable de gicler mais au train, il roule fort, même à 58 ans. Je me prépare pour faire le tour de reconnaissance et aussitôt, des gars m'en dissuadent en raison de l'état de la route sur le trajet du retour : tu vas repeindre le vélo, et de me montrer les leurs effectivement maculés de boue.

Bon, je décide de faire juste 2-3 kilomètres pour me dégourdir les jambes, histoire de découvrir le début du profil de la course au son de la musette diffusée par haut-parleur. En fait, il n'y a pas de bosse, tout est absolument plat, pour schématiser, ce n'est qu'un gros rectangle de 10 kilomètres à parcourir 5 fois. Ca va se faire tout sur la plaque avec des passages en 50X12. Et moi qui m'exprime dans les bosses, je ne sais pas faire ça, je stresse. Moi, l'épouvantail, terminer dans le peloton. Ben, c'est p't'être ta place mon gars. N'attrape pas la grosse tête, comme me dit ma Marie-Pierre.
Petit rayon de soleil avant le départ, j'en profite pour mettre un peu de crème solaire (je me suis déjà fait piéger une fois, à la Rousselière, on ne m'y prendra pas deux fois).

Sur la ligne, je me fais chambrer par quelques gars qui m'ont reconnu, il faut dire que j'ai une pancarte dans le dos avec mes deux dernières victoires. Dans la catégorie, les gars sont plutôt âgés, faut pas manger dans leur pré carré. Et là, Mémé me dit : « c'est qu'on est nombreux, couillon ». Effectivement, je me retourne, on est une grosse trentaine, plus que d'habitude. Et ben, y a rien qui me plait ici.

Allez, les autres catégories sont parties, il ne reste que nous, le maire de Brioux donne le départ, 5 4 3 2 1 et que le meilleur gagne. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que ça ne va pas être drôle.
Et là, le peloton part à fond de cale, ça roule fort dès le début, un oeil sur le compteur : 40-45. Mazette ! Allez, c'est le début, je m'abrite, je suce les roues, on va bien voir. Devant, Mémé flingue déjà, obligeant les gars à faire le métier en ramenant le peloton. Moi, je trouve déjà que ça roule très fort mais j'ai l'impression d'être le seul à penser ça.

Moitié du premier tour, on revient vers le départ et on passe dans la portion en travaux : route étroite, pas de place pour bien se positionner, je subis les nids de poule que je découvre au moment où ils passent sous mes roues, le vélo tressaute, j'entends derrière moi : j'ai percé !
Merde, et mes pneus à moi ! Non, ça a l'air d'aller. 3-4 kilomètres d'enfer avec des cahots remplis de la dernière pluie, des mottes de terre, même un passage avec du fumier. Puis, on revient sur Brioux après un léger faut plat montant, on monte une ou deux dents pour soulager les cuisses, petite ligne droite où la route rend un peu mieux puis virage fermé à droite obligeant à freiner fort et c'est la ligne d'arrivée 100 mètres plus loin.
Je me rappelle un gars sur la ligne qui me dit que l'année dernière, l'arrivée s'était faite au sprint. Le dernier virage ne va pas être triste.

On fait le second tour et au bout de l'aller, je sens une goutte puis deux puis c'est le déluge. J'ai beau dire non dans ma tête, en une minute, nous sommes transpercés par la pluie qui s'abat sur nous, fouette nos cuisses à la manière d'une grosse grêle, ça fait presque mal. Je nage dans mes chaussures, les projections des roues devant moi repeignent mes lunettes (de soleil), je vois que dalle. Au retour, sur la petite route, je me dis que si ça continue, je n'irai pas au bout, c'est pas tenable, dantesque. C'est dur le vélo, faut se faire mal, les jeunes préfèrent rester sous la couette, c'est ce qui se dit ici.
Et Mémé devant, à la planche, toujours, il fait la prime du deuxième tour, il est sorti et conserve 75 mètres d'avance. Allez, j'essaie de faire une prime moi aussi car les jambes tournent mal et je sais que je ne peux rien espérer d'autre aujourd'hui. Je sors avant le virage de l'arrivée, j'arrive un peu fort dans le virage, je freine un peu long - je m'en souviendrai - mais personne ne me déborde et je fais 2 pour la prime. Je me laisse reprendre ensuite par le peloton et la course se poursuit. Je félicite Mémé. Tiens, encore une attaque à gauche. Lui, on sait qu'il se relève tout de suite, ça parle dans le peloton, il n'est pas dangereux, c'est sa manière de courir, on le laisse faire.
Les gars de Niort sont venus en force et ils sont impressionnants, on a l'impression de voir un chef d'orchestre qui distribue les rôles à ses équipiers : allez vas-y, bouge pas ! Attention à droite ! Ca finit de m'achever, qu'est-ce qu'on peut faire ? Et puis il y a le 18 avec ses Corima Aero, il a l'air costaud aussi lui mais il se fait toujours chasser, pas de bon de sortie pour lui.

Le troisième tour est avalé, toujours la pluie. A un moment, la route rend tellement mal que je suis persuadé d'avoir percé, je regarde l'écrasement du pneu arrière pendant quelques hectomètres mais non, ça tient.
Tiens, Patrice est sur le bord, il ne court pas mais il est venu en vélo avec le maillot du club nous voir courir, il nous a vus, Mémé et moi.
Et même si le rythme est assez irrégulier, je trouve que ça roule toujours aussi fort et il y en a tellement devant moi. La féminine qui court avec nous a l'air bien aussi.

4ème tour, la pluie s'est arrêtée, c'est l'arrivée des juniors - ils sont trois - on les laisse partir devant avant l'arrivée pour qu'ils s'expliquent ensemble et on entame le dernier tour. Au fond du circuit, j'essaie de partir, j'accélère sur la gauche et je sors sans me retourner, j'entends siffler les gars derrière moi pour lancer la poursuite, je continue un peu puis je sens mes cuisses brûler, je suis dans le rouge, je me relève, le peloton revient sur moi.
On est sur le chemin du retour, il faut que je calme mon coeur, je me fais décrocher par un groupe, j'ai du mal à revenir, je sens les gars qui me passent nerveusement, sentant que je ne suis pas une bonne roue. Puis les choses se stabilisent. On arrive dans les deux derniers kilomètres, je me dis que puisque je suis toujours là, autant jouer ma chance. Je remonte progressivement aux avant-postes. Curieusement, le rythme n'augmente pas. Il reste 1000 mètres puis le dernier virage. Je passe d'autorité entre deux gars par un trou de souris, c'est limite mais ça gueule pas. Devant, Mémé est toujours là, il y a un ou deux autres gars.

Le virage approche, j'accélère, je double Mémé, encore deux gars devant moi. On est au virage, je freine pas mal, j'en passe encore un, prend la corde, j'entends une chute derrière moi. Ce n'est pas le moment de regarder, je descends une dent et je me mets en danseuse et là, je ne peux pas dire ce qui se passe, je me vois doubler le premier, je ne sais pas de qui il s'agit, on ne l'a pas vu de toute la course mais à ce moment là, j'aime tout le monde, je viens de signer ma plus belle victoire.
Je mets quelques dizaines de mètres pour réaliser ce que je viens de faire puis j'exulte, c'est presque irréel. J'étais tellement mal pendant la course que j'ai de la peine à réaliser que je viens de gagner, surtout d'une façon nouvelle pour moi : en renard, au sprint et pas en bourrin comme les deux dernières fois. Mémé a beaucoup travaillé pour moi. Il m'avoue à l'arrivée qu'il a essayé de fatiguer le monde pour moi. S'il m'avait donné son plan avant la course, je lui aurais dit de ne pas se fatiguer pour rien mais finalement, c'est peut-être grâce à lui que je gagne. 

Au final, ça a roulé fort (36,3 km/h de moyenne), j'ai de la terre à l'intérieur des lunettes, dans les oreilles, partout. Je retourne à la voiture, il crachine de nouveau. Je laisse mes affaires boueuses dans le coffre et je file dans le gymnase prendre une douche brûlante. En enlevant le cuissard, j'ai l'impression d'être bronzé là où la peau des jambes était nue mais c'est juste la crasse, j'imagine que j'ai une gueule de mineur. Je comprends mieux pourquoi les gars parlaient de cyclo-cross avant le départ. 

En tout cas, je sais maintenant que c'était ma dernière course dans cette catégorie, je vais redonner mon carton et passer en 3. Une autre histoire commence, encore un peu plus dure !

Publicité
Commentaires
F
oui oui moi aussi ça me fait des frissons dans le dos et les poils des bras sont tout debout !!<br /> fred, c'est certain tu as le vélo qui commence a te rentrer dans la peau, mais le style littéraire n'est pas mal du tout non plus...tu pourras te recycler quand ton deux roues rendra l'âme.<br /> Bravo !!
M
moi qui trouvais mon dernier pollar (Harlan Cobben :" promets-moi") exhaltant....rien à côté de la lecture du récit de la course de Fred....j'ai plus d'ongles à la main gauche....t'les as tous eu bravo, pour les jambes, la tenacité et la plume....je pars retrouver mes élèves avachis sur les tables "m'dame, c'est la fin d' l'année....des claques oui...
F
...ou je vais me mettre à pleurer aussi. Merci pour vos encouragements.
M
Pépi a été submergé par les émotions et des larmes ont roulé sur ses joues, et il a ressenti ce que tu as pu vivre pendant cette course, encore félicitations et nous t'encourageons à continuer.
M
j'ai hâte de faire lire ton récit à Jean-Louis, ce soir. FELICITATIONS, FRED, CHAPEAU !!!!!t'es un vrai !!!!ton entourage peut être fier de toi
Gaudibri's
Publicité
Albums Photos
Publicité