Récit du champion
J'ai demandé à Fred de rédiger pour le blog quelques lignes pour raconter dans son jargon cyclistique sa course de dimanche. Installez-vous confortablement, le coureur a la langue bien pendue...
J'avais beaucoup hésité avant de
me rendre à Brioux. La météo menaçait, j'avais un peu tapé dedans la veille,
monté des bosses à bon train pour vérifier mes jambes après les Pyrénées,
j'avais eu de bonnes sensations mais je n'avais pas assez récupéré. Bref, pas
les conditions idéales mais finalement, pas trop de pression et la perspective
de retrouver les copains sur place.
Pourtant, j'étais à une victoire
de la montée dans la catégorie supérieure (j'avais gagné les deux dernières
courses en solitaire) et intérieurement, je me disais bien que tout pouvait
arriver.
Là-bas, je retrouve Mémé, un
copain de mon club qui aligne déjà 6-7000 bornes au compteur depuis janvier. Il
faut dire qu'il prépare Paris-Nice en cyclo et il fait du foncier. Il n'est pas
capable de gicler mais au train, il roule fort, même à 58 ans. Je me prépare
pour faire le tour de reconnaissance et aussitôt, des gars m'en dissuadent en
raison de l'état de la route sur le trajet du retour : tu vas repeindre le vélo,
et de me montrer les leurs effectivement maculés de boue.
Bon, je décide de faire juste 2-3
kilomètres pour me dégourdir les jambes, histoire de découvrir le début du
profil de la course au son de la musette diffusée par haut-parleur. En fait, il
n'y a pas de bosse, tout est absolument plat, pour schématiser, ce n'est qu'un
gros rectangle de 10 kilomètres à parcourir 5 fois. Ca va se faire tout sur la plaque
avec des passages en 50X12. Et moi qui m'exprime dans les bosses, je ne sais
pas faire ça, je stresse. Moi, l'épouvantail, terminer dans le peloton. Ben,
c'est p't'être ta place mon gars. N'attrape pas la grosse tête, comme me dit ma
Marie-Pierre.
Petit rayon de soleil avant le départ,
j'en profite pour mettre un peu de crème solaire (je me suis déjà fait piéger
une fois, à la Rousselière, on ne m'y prendra pas deux fois).
Sur la ligne, je me fais chambrer
par quelques gars qui m'ont reconnu, il faut dire que j'ai une pancarte dans le
dos avec mes deux dernières victoires. Dans la catégorie, les gars sont plutôt âgés,
faut pas manger dans leur pré carré. Et là, Mémé me dit : « c'est qu'on
est nombreux, couillon ». Effectivement, je me retourne, on est une grosse
trentaine, plus que d'habitude. Et ben, y a rien qui me plait ici.
Allez, les autres catégories sont
parties, il ne reste que nous, le maire de Brioux donne le départ, 5 4 3 2 1 et
que le meilleur gagne. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que ça ne va pas être
drôle.
Et là, le peloton part à fond de
cale, ça roule fort dès le début, un oeil sur le compteur : 40-45. Mazette ! Allez,
c'est le début, je m'abrite, je suce les roues, on va bien voir. Devant, Mémé flingue
déjà, obligeant les gars à faire le métier en ramenant le peloton. Moi, je
trouve déjà que ça roule très fort mais j'ai l'impression d'être le seul à penser
ça.
Moitié du premier tour, on
revient vers le départ et on passe dans la portion en travaux : route étroite,
pas de place pour bien se positionner, je subis les nids de poule que je découvre
au moment où ils passent sous mes roues, le vélo tressaute, j'entends derrière
moi : j'ai percé !
Merde, et mes pneus à moi ! Non, ça
a l'air d'aller. 3-4 kilomètres d'enfer avec des cahots remplis de la dernière
pluie, des mottes de terre, même un passage avec du fumier. Puis, on revient
sur Brioux après un léger faut plat montant, on monte une ou deux dents pour
soulager les cuisses, petite ligne droite où la route rend un peu mieux puis
virage fermé à droite obligeant à freiner fort et c'est la ligne d'arrivée 100 mètres plus loin.
Je me rappelle un gars sur la
ligne qui me dit que l'année dernière, l'arrivée s'était faite au sprint. Le
dernier virage ne va pas être triste.
On fait le second tour et au bout
de l'aller, je sens une goutte puis deux puis c'est le déluge. J'ai beau dire
non dans ma tête, en une minute, nous sommes transpercés par la pluie qui
s'abat sur nous, fouette nos cuisses à la manière d'une grosse grêle, ça fait
presque mal. Je nage dans mes chaussures, les projections des roues devant moi
repeignent mes lunettes (de soleil), je vois que dalle. Au retour, sur la
petite route, je me dis que si ça continue, je n'irai pas au bout, c'est pas
tenable, dantesque. C'est dur le vélo, faut se faire mal, les jeunes préfèrent
rester sous la couette, c'est ce qui se dit ici.
Et Mémé devant, à la planche,
toujours, il fait la prime du deuxième tour, il est sorti et conserve 75 mètres
d'avance. Allez, j'essaie de faire une prime moi aussi car les jambes tournent
mal et je sais que je ne peux rien espérer d'autre aujourd'hui. Je sors avant
le virage de l'arrivée, j'arrive un peu fort dans le virage, je freine un peu
long - je m'en souviendrai - mais personne ne me déborde et je fais 2 pour la
prime. Je me laisse reprendre ensuite par le peloton et la course se poursuit. Je
félicite Mémé. Tiens, encore une attaque à gauche. Lui, on sait qu'il se relève
tout de suite, ça parle dans le peloton, il n'est pas dangereux, c'est sa manière
de courir, on le laisse faire.
Les gars de Niort sont venus en
force et ils sont impressionnants, on a l'impression de voir un chef
d'orchestre qui distribue les rôles à ses équipiers : allez vas-y, bouge pas ! Attention
à droite ! Ca finit de m'achever, qu'est-ce qu'on peut faire ? Et puis il y a
le 18 avec ses Corima Aero, il a l'air costaud aussi lui mais il se fait
toujours chasser, pas de bon de sortie pour lui.
Le troisième tour est avalé,
toujours la pluie. A un moment, la route rend tellement mal que je suis persuadé
d'avoir percé, je regarde l'écrasement du pneu arrière pendant quelques hectomètres
mais non, ça tient.
Tiens, Patrice est sur le bord,
il ne court pas mais il est venu en vélo avec le maillot du club nous voir
courir, il nous a vus, Mémé et moi.
Et même si le rythme est assez
irrégulier, je trouve que ça roule toujours aussi fort et il y en a tellement
devant moi. La féminine qui court avec nous a l'air bien aussi.
4ème tour, la pluie s'est arrêtée,
c'est l'arrivée des juniors - ils sont trois - on les laisse partir devant
avant l'arrivée pour qu'ils s'expliquent ensemble et on entame le dernier tour.
Au fond du circuit, j'essaie de partir, j'accélère sur la gauche et je sors
sans me retourner, j'entends siffler les gars derrière moi pour lancer la
poursuite, je continue un peu puis je sens mes cuisses brûler, je suis dans le
rouge, je me relève, le peloton revient sur moi.
On est sur le chemin du retour,
il faut que je calme mon coeur, je me fais décrocher par un groupe, j'ai du mal
à revenir, je sens les gars qui me passent nerveusement, sentant que je ne suis
pas une bonne roue. Puis les choses se stabilisent. On arrive dans les deux
derniers kilomètres, je me dis que puisque je suis toujours là, autant jouer ma
chance. Je remonte progressivement aux avant-postes. Curieusement, le rythme
n'augmente pas. Il reste 1000 mètres puis le dernier virage. Je passe d'autorité
entre deux gars par un trou de souris, c'est limite mais ça gueule pas. Devant,
Mémé est toujours là, il y a un ou deux autres gars.
Le virage approche, j'accélère,
je double Mémé, encore deux gars devant moi. On est au virage, je freine pas
mal, j'en passe encore un, prend la corde, j'entends une chute derrière moi. Ce
n'est pas le moment de regarder, je descends une dent et je me mets en danseuse
et là, je ne peux pas dire ce qui se passe, je me vois doubler le premier, je
ne sais pas de qui il s'agit, on ne l'a pas vu de toute la course mais à ce
moment là, j'aime tout le monde, je viens de signer ma plus belle victoire.
Je mets quelques dizaines de mètres
pour réaliser ce que je viens de faire puis j'exulte, c'est presque irréel. J'étais
tellement mal pendant la course que j'ai de la peine à réaliser que je viens de
gagner, surtout d'une façon nouvelle pour moi : en renard, au sprint et pas en
bourrin comme les deux dernières fois. Mémé a beaucoup travaillé pour moi. Il
m'avoue à l'arrivée qu'il a essayé de fatiguer le monde pour moi. S'il m'avait
donné son plan avant la course, je lui aurais dit de ne pas se fatiguer pour
rien mais finalement, c'est peut-être grâce à lui que je gagne.
Au final, ça a roulé fort (36,3
km/h de moyenne), j'ai de la terre à l'intérieur des lunettes, dans les
oreilles, partout. Je retourne à la voiture, il crachine de nouveau. Je laisse
mes affaires boueuses dans le coffre et je file dans le gymnase prendre une
douche brûlante. En enlevant le cuissard, j'ai l'impression d'être bronzé là où
la peau des jambes était nue mais c'est juste la crasse, j'imagine que j'ai une
gueule de mineur. Je comprends mieux pourquoi les gars parlaient de cyclo-cross
avant le départ.
En tout cas, je sais maintenant que c'était ma dernière course dans cette catégorie, je vais redonner mon carton et passer en 3. Une autre histoire commence, encore un peu plus dure !